Un Vigneron dans l’alambic de l’histoire

Par Gilbert Laval et Alain Boullenger

In Vino Veritas. Le Gaillac a deux mille ans, mais c’est le travail des vignerons dans de ce dernier demi-siècle qui dit le mieux les évolutions du monde et de ses consommations. Passé quarante-trois vendanges, Alain Boullenger, enfant de 68, du travail en usine puis des vignes, sort de cet alambic de l’histoire. Il raconte.

Chapitre 5

 LA QUALITE EST UNE LONGUE MARCHE
 
(A FAIRE LIRE) L'appellation ne s'est donc pas améliorée toute seule. Il y a eu quelques coups de tonnerre au-dessus du gaillacois, quelques secousses qu en ont transformé le paysage. Mais la marche vers la qualité est plutôt une course d'endurance, sur un temps long, sur la durée, en profondeur. Un long mouvement tectonique plutôt que de simples éruptions... Il s'agit maintenant de savoir quels ont été les ressorts de ce mouvement

La qualité, nous dites-vous. Certes ! Mais avant toute chose, Alain Boullenger, dites -nous ce qu'est la qualité d'un vin...

Tous les goûts sont dans la nature, dit-on. Mais ces goûts sont d’abord et surtout une affaire sociale.

C'est à dire ?

Noël 1995, Claude Sicre, qui se veut troubadour toulousain, occupe justement la Cité Administrative avec une joyeuse équipe de SDF sous l’égide de l’association Droit Au Logement. Il me demande, à moi, secrétaire de du comité interprofessionnel des vins de Gaillac de venir leur offrir le vin qui fera leurs fêtes de fin d’année.
Je dis oui, bien sûr. J’y vais, mais avec tout un échantillon de vins à déguster. Et je croise en sortant un de ces Sans-Domicile-Fixe qui me dit : “Tout ça c’est bien, mais moi dans la rue je préfère le litron en plastique de chez Margnat-village, parce que  ça je peux me le payer, ”.

La situation sociale des gens décide de leur  choix. Les SDF choisissent ainsi d’apprécier le vin que leur situation les autorise à consommer.

Et donc, vous Appellation de Gaillac, quelle qualité avez-vous recherché ?

La qualité, autrefois, c’est le degré d’alcool du vin produit qui en était le premier marqueur. Au-dessus de 11°, c’était de l’Appellation d’Origine. Nous nous sommes vite rendu compte que ce critère-là n’était pas pertinent. Et que c’est sur les quantités, sur les rendements que nous devions agir.

Vous avez donc recherché la maîtrise de ces rendements...

Nous avons en effet travaillé à degré égal mais sur des rendements maîtrisés c'est-à-dire en nous en tenant à 60hl à l’hectare. Nous avons tout de suite pu noter la différence de structure du vin. Pas seulement sur les sucres, mais sur les autres matières aussi. Nous avons eu plus de couleur, plus de tanin. Et la cave a lancé des contrôles des vignes avant les vendanges pour vérifier les rendements.

Des contrôles ?

Il serait plus juste de parler d'autodiscipline. En fait, pour décider quelles vignes seraient incluses ou non dans d’appellation, on a fait appel à des experts extérieurs à la cave accompagné de deux vignerons.
Grosso modo, le volume des vignes rejetées était de 5%. J’ai moi-même éprouvé ce système : quelques-unes de mes parcelles ont pu être considérées comme n’étant pas à la maille. 

A cause du terroir ?

Le terroir joue sur les rendements, selon qu’il y a de l’eau ou pas dans les sols. Mais le travail compte aussi pour beaucoup avec le choix des cépages et de la taille -ce que nous appelons la conduite de la vigne.
Pourtant on parle de vins de terroir...
Un bon terroir facilite les choses. Mais il n’est pas indispensable à un bon vin. Les sols peuvent être argileux, calcaire, secs ou irrigués, il y aura toujours un cépage mieux adapté qu’un autre à cet endroit.

Qu'est ce qu compte alors ?

L'essentiel est d'avoir un enracinement profond de la vigne dans le sol. C'est le sous-sol qui donne les matières nécessaires à la structure, à la complexité des vins. Sinon pourquoi ne pas imaginer cultiver les vignes sous serres, comme on produit de la tomate.

Et comment ça va l'enracinement à Gaillac ?

A Gaillac, on est très riche en terroirs : des graves, des sables légèrement graveleux, des limons, des argiles à graviers, des calcaires sur le plateaux cordais., il y a de quoi s’y perdre. Mais ce qui fait l'unité de l'appellation, ce ne sont pas ces terroirs, ce sont les cépages autochtones

Les cépages ?

Le Gamay pouvait donner du 13,5° et des rendements soutenus, mais le vin fini était trop clair, il se présentait encore comme du primeur. L’appellation décide donc de privilégier les cépages autochtones comme le Duras et le Braucol en supprimant le Gamay et le Jurançon de façon progressive.

Exit donc le Gamay, mais qu'apportent le Duras et le Braucol ?

Le Duras peut être aussi alcoolisé que le Gamay mais si son rendement est maîtrisé, il développe une couleur et surtout des arômes épicés incomparables. Même si ses tanins restent fins

Et le Braucol ?

La Braucol est beaucoup plus structuré, c'est un cépage très ancien, tardif et sauvage Avec des arômes puissants -cassis et menthe poivrée. C'est l'ancêtre lointain des cabernets

Et pourquoi pas directement des cabernets comme à Bordeaux ?

Le Cabernet et le Merlot, s'ls sont présents à Gaillac ne sont que des cépages secondaires Une façon pour les Gaillacois de cultiver leurs différences Aujourd'hui, l’encépagement de l’AOC doit obligatoirement être constitué à  70% des cépages principaux : Duras, Braucol, Prunelart ou syrah.

Vous avez aussi du Prunelart ?

OuI, maIs c'est un cépage autochtone très ancien quI a été oublié au moment de la réglementation de l'appellation Gaillac en 1970. En effet, il est peu productif, mais li donne des vins d'une très belle couleur, très structurés, forts en alcool mais en même temps très fruités – myrtille et mûres. Le Prunelart est devenu la star de Gaillac

Un enracinement profond, des cépages choisis Et ça suffit ?

Ben non ! Il y a la taille aussi qui est  très importante. Autrefois tout était taillé en gobelet, méthode assez qualitative. La mécanisation a amené à planter des vignes palissées, c’est-à-dire soutenues par un fil de fer porteur -à 60 cm du sol- et deux fils de fer releveurs pour que la végétation grimpe le plus haut possible jusqu'à 2 mètres de hauteur.

Pourquoi si haut ? 

Parce que le vigneron est avant tout un architecte de la vigne. Et il faut que la plus grande quantité de feuilles soit au soleil le plus longtemps possible. Capter l'énergie du soleil, c’est ce qui compte avant tout.
Parmi ces tailles palissées Il y a la taille dite en cordon de royat  tout en longueur, pour obtenir des raisins étalés le long de la rangée, sans avoir à mûrir les uns sur les autres, sans donc favoriser la pourriture. C’est cette taille que j’ai adoptée malheureusement (!!!!!!!). Aujourd’hui c’est la taille en guyot ( une longue baguette) plus simple et plus productive qui est  dominante.

Et l’enherbement que vous aviez choisi de pratiquer est un éléments important dans cette recherche de la qualité ?

   Oui, et c’est même l’essentiel de ce que nous pratiquions depuis 1991 : laisser l’herbe pousser naturellement entre les pieds de vignes, et même en semer au besoin ! Méthode connue sous le vocable d’enherbement naturel.

Comment cette idée vous est-elle venue ?   

Déjà, dix ans auparavant, dès 1982, j’avais fait le choix de ne plus labourer mes sols pour éviter de trop les ameublir, pour en ralentir l’érosion et éviter que s’y creusent les ornières produites par le passage de la machine à vendanger. En suivant, j’ai choisi de laisser l’herbe y pousser. C’est un voisin qui m’en a soufflé l’idée, sur le ton “si, si, ça se fait maintenant, l’Inra a expérimenté”.

Et qu'est ce que cet enherbement amène ?

L’enherbement structure les sols, en active la vie microbienne, réduit des excès d’azote et diminue d’autant le risque de pourriture. Autre avantage enfin, et non des moindres, il facilite la maîtrise des rendements en ce sens qu’il n’y a plus à éliminer de grappes superflues (travail appelé vendange en vert)

Et comment cette pratique a-t-elle été accueillie ?

Bien, mais pas tout de suite…J'ai d'abord été pris pour un fou. Pourtant, à cette époque, les désherbants classiques devenaient de toute façon inefficaces et les produits à base de glyphosate étaient encore trop chers. Mais la première réaction des vignerons voisins de mes parcelles a été de dire : “laisser l’herbe sur les parcelles, c’est pas bien !”. Réaction confortée par le fait qu’une légère baisse du rendement était enregistrée. Très vite cependant, cet enherbement entrainant moins de pourriture, cela en a convaincu beaucoup. sans compter que le sol était de cette façon naturellement nourri - à condition toutefois d’arracher le chiendent !

Et le Gaillac a-t-il au bout du compte retrouvé tout son caractère ?

 En partie. Plutôt que de produire du Bordeaux à Gaillac avec des merlots et des cabernets, le vin de Gaillac, avec ses cépages propres, a enfin son identité. La bataille a été de longue haleine, les progrès, suivant la réglementation de l’appellation, ne se réalisant que pas à pas. Ils ont toutefois été plus rapides chez les coopérateurs que chez les indépendants où les réticences ont été plus nombreuses et plus longues à lever. La cave a cherché à progresser par l’adhésion du plus grand nombre plutôt que par la contrainte…

Pour conclure ?

La qualité, c'est le résultat d’un long, très long mouvement de tous vers le mieux..

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